Des studios en danger, des jeux retirés de la circulation, le FBI, un maximum de greed et la fin d’une époque pour le jeu vidéo PC, console et mobile. L’industrie du gaming panique à cause du drama Unity et de sa Runtime Fee. Twitter s’enflamme et l’avenir des jeux que vous aimez et ceux que vous auriez voulu découvrir est compromis. Faisons le point sur l’affaire Unity Technologies qui secoue le monde du gaming. D’où ça sort, où ça va, pourquoi tant de drama et qu’est-ce que ça change pour nous, les joueurs ? Voici l’explication.
Retrouvez toutes nos sources dans ce document. J’en profite pour faire un petit disclaimer à propos du fait que ces infos changent pas mal dans le temps à cause de modifications du blog Unity et des différentes déclarations.
Bienvenue dans l’histoire et le drama d’Unity Technologies, son passé, son présent et son futur : un désastre qui pourrait ruiner vos jeux vidéo.
Bond en arrière de presque 20 ans. Bienvenue dans le passé. Nous sommes en 2004. L’entreprise qui deviendra plus tard Unity Technologies lance officiellement son activité. Dans la décennie suivante, elle produira un moteur de jeu qui sera la clé de voûte d’une immense partie des créations de jeux vidéo : le moteur de jeu Unity Engine. Un moteur de jeu puissant technologiquement mais aussi humainement avec une communauté plus vaste et plus acharnée que n’importe où ailleurs, capable de faire naître des pépites comme Cuphead, Monument Valley, Hollow Knight, The Outer Wilds, Rust, Escape from Tarkov, Ape Out, Valheim ou encore Crossy Road à partir d’une simple idée et d’une grande motivation.
C’est sûrement le meilleur moment pour définir ce qu’est un moteur de jeu. Wikipédia définit un moteur de jeu comme suit.
Un moteur de jeu est un ensemble de composants logiciels qui effectuent des calculs de géométrie et de physique utilisés dans le jeu vidéo.
Wikipédia
En gros, c’est un programme que vous installez sur votre PC et qui contient différents blocs de fonctionnalités, qui vont de l’affichage graphique en 2D et 3D à la gestion des effets sonores et au développement du gameplay. C’est un logiciel qui sert de structure à la création et à l’architecture de jeux en connectant plein d’éléments. Certains sont plus complets que d’autres et Unity fait partie des plus importants de l’industrie du jeu vidéo avec une grande panoplie d’outils. En plus du rendu graphique, le moteur intègre de la gestion de la physique, de l’animation, de l’IA et même de la modélisation d’objets 3D. C’est un véritable bac à sable pour les studios de jeux vidéo qui y investissent du temps et de l’argent pour le rendre toujours plus puissant et booster la production de leurs futurs jeux vidéo.
Dans le cas d’Unity, les futurs jeux vont de Genshin Impact à Subnautica en passant par Pokémon GO, Hearthstone et Among Us. Vous devez savoir que Unity n’est pas le seul moteur de jeu disponible. Il en existe plein d’autres. D’ailleurs, vous connaissez sûrement au moins l’un de ses concurrents comme Unreal Engine, Godot ou même RPG Maker parmi de nombreux autres acteurs du secteur plus petits. Alors pourquoi est-ce que Unity est aussi important ? Parce que c’est le moteur avec la communauté la plus impressionnante, digne d’un Reddit de création de jeux.
C’est le moteur de jeu le plus accessible pour les débutants, enseigné dans les écoles, utilisé dans les game jams mais aussi suffisamment puissant pour produire des jeux capables de rivaliser avec les plus grands. Au moindre changement, toutes les strates du jeu vidéo sont affectés, du petit indépendant amateur au studio triple A. Malgré ses défauts, Unity sert à créer de grands jeux et profite du soutien quasi inconditionnel de nombreux créateurs. Retenez bien cette phrase parce qu’elle va très mal vieillir d’ici à la fin de cet article.
Presque 10 ans s’écoulent depuis 2004 et les succès s’enchaînent. L’un des personnages principaux de notre histoire s’apprête à entrer en scène. On arrive en 2012 et 2013. Ah 2012 et 2013… les deux superbes années qui voient Electronic Arts élue consécutivement pire entreprise d’Amérique. Ça fait toujours plaisir un doublé comme ça. Un joli trophée à mettre sur sa cheminée, surtout quand on s’appelle John Riccitiello, le PDG d’EA à cette époque, et un homme au centre de notre histoire. Si sa tête ne vous inspire pas confiance, c’est normal.
Ce sourire, c’est le début des emmerdes. Un an plus tard, en 2014, le fameux John Riccitiello change de poste et devient, je vous le donne en mille… PDG d’Unity Technologies, une entreprise qui a bien besoin d’un gros requin pour booster ses pratiques commerciales pas assez agressives. Que le fun commence. On se rapproche du drama Unity. Nous sommes maintenant en 2015. L’année où le monde apprend l’existence de l’eau sur Mars grâce à la Nasa. L’année où Unity passe d’un simple moteur de jeux vidéo à une double activité en tant que régie publicitaire et vendeur in-game. L’entreprise d’Unity Technologies s’étend intelligemment vers la création de jeux mobile en flairant un El Dorado.
Elle propose maintenant des publicités intégrées, des achats intégrés et des campagnes de promotion intégrées, les Unity Ads, que vous retrouvez partout sur vos téléphones. Les pubs envahissent nos écrans de poche. Et les développeurs, même modestes, commencent à pouvoir en vivre. C’est le début d’un âge d’or du jeu mobile et de la montée en puissance de la pub. À. Chaque. Session.
Nous voilà arrivés en 2020. Cette année-là, le monde découvre ce que ça fait de se prendre un petit shot d’apocalypse avec un rappel tous les 6 mois. Le confinement et la pandémie secouent le monde. Et pendant ce temps, Unity prend du gallon. Tout le monde consomme du jeu vidéo. Avec Unity, tout le monde peut aussi CRÉER un jeu vidéo. John Riccitiello va pouvoir briller en s’assurant l’entrée en bourse d’Unity connue en anglais sous le nom d’IPO. Avec cette entrée en bourse en septembre 2020, l’entreprise passe alors du côté obscur de la force. Les équipes de développeurs passionnés sont maintenant dirigées par des investisseurs de fonds spéculatifs, spécialistes du montage financier et de vampirisation de porte-monnaie.
Ils représentent 11 des 13 membres du conseil d’administration et donc presque toute la force de décision. Plus les années passent et plus les studios et les amateurs qui utilisent Unity se demandent pourquoi les fonctionnalités qu’ils attendent n’arrivent jamais. La communauté du moteur de jeu reste soudée et soutient le logiciel malgré l’écart qui commence à se creuser avec son concurrent Unreal Engine, dont la croissance semble inarrêtable.
En octobre, une entreprise appelée IronSource, qui fusionnera plus tard avec Unity Technologies déploie son service LevelPlay, une suite d’outils dédiés à la monétisation des jeux vidéo sous forme de régie publicitaire. Grâce à LevelPlay, les enchères publicitaires in-game deviennent toujours plus rapides, plus agressives. En 2022, Unity Technologies semble enfin se rappeler que sa communauté attend qu’on l’écoute et qu’on tienne ses vieilles promesses. Une initiative naît autour du moteur de jeu : le projet Gigaya. Gigaya est un projet formidable, créé en interne chez Unity qui permettra aux développeurs de tous les studios d’apprendre à utiliser le moteur Unity Engine correctement avec un jeu complet et des fonctionnalités détaillées. C’est un miracle et une grosse hype dans la communauté des créateurs de jeu.
Le projet est annulé en juillet 2022, moins de 4 mois après son annonce. Dans la foulée, Ironsource fusionne avec Unity qui devient donc lié à LevelPlay et de son système d’enchères publicitaires.
Pfiou. Vous avez tout le contexte. Il est plus que temps d’entrer dans le vif du sujet. Croyez moi, on va aller de pire en pire alors restez jusqu’à la fin pour comprendre l’ampleur de la catastrophe. La Runtime Fee Unity, fléau de Twitter, Reddit, et des jeux vidéo. Un sujet qui pourrait causer la ruine des jeux que vous aimez, de leurs développeurs et même de votre amour pour le gaming. Une aberration à tous les niveaux.
Entre 2004 et aujourd’hui, Unity Technologies s’est fait une place de choix sur le marché. Son moteur de jeu serait utilisé pour environ 70% des jeux mobile, soit une écrasante majorité, mais aussi une grande partie des jeux sur toutes les plateformes confondues. Par exemple sur Steam, on retrouve quelques chiffres qu’on peut combiner avec ceux d’itch.io, une autre plateforme pour publier des jeux, surtout des titres indépendants. On remarque qu’un très grand nombre de jeux se basent sur le moteur Unity.
D’ailleurs, si vous pensiez que seuls les jeux avec un écran “Unity” au démarrage étaient fait avec le moteur de jeu Unity, vous vous trompez. Vous ne pouvez pas les reconnaître d’un coup d’œil. Seule la version 100% gratuite, dédiée aux étudiants et aux personnes qui l’utilisent pour leur loisir ne permet pas de customiser l’écran de démarrage. Testez avec Crossy Road par exemple, ou Magic The Gathering Arena. Rien n’indiquent qu’il sont faits avec Unity. Pourtant c’est le cas. Il est donc facile d’imaginer qu’un changement majeur chez Unity affecterait une énorme partie du marché du jeu vidéo et pourrait causer un effondrement général de studios et de l’équilibre de l’industrie en cas de décision stupide.
Des décisions stupides, j’en ai vu plein dans ma vie. Mais des comme ça, on en croise pas tous les jours. Le prix de la balle dans le pied 2023 doublé d’une avalanche de bullshit revient immédiatement à Unity, vainqueur quasiment hors catégorie, grâce à son annonce du… 12 septembre 2023 : celle de la catastrophique Runtime Fee. D’après cette décision, à partir du 1er janvier 2024, tout développeur ou studio répondant à certains critères statistiques devra payer à Unity des frais par installation de jeu allant jusqu’à 20 centimes. À. Chaque. Installation.
En tant que joueur, ça vous change quoi ? Si comme moi votre cerveau a skip cette info en mode “OK et alors ?” c’est parce qu’il faut creuser un peu sous le vernis pour découvrir le tas de bouse peint en rose caché dessous. On peut commencer avec un exemple simple :
Partons sur un jeu mobile free-to-play. Je suis Yaya dans ma chambre et je crée un jeu hyper casual type Flappy Bird qui cartonne et atteint 1 million de téléchargements et 200 000 dollars de revenus avec les pubs. C’est un bon rendement pour un jeu gratuit avec des publicités et je suis fier de moi. Je me retourne pour voir l’ombre d’Unity Technologies, derrière moi, qui tend la main en me réclamant sa toute nouvelle Runtime Fee, sortie de nulle part un beau jour de septembre 2023. Je sors ma calculette avec mes 200 000 dollars de revenus et je lui dois exactement… 200 000 dollars.
Si, si, c’est le même montant. Vous n’avez pas rêvé. Même sans aucun frais de production, je devrais donner à Unity l’intégralité de mes revenus. Et dans le cas où Unity me laissait garder mes premiers 200 000 dollars, chaque dollar de plus avec le même rendement qu’au début disparaîtrait de ma poche avant même que j’aie pu y toucher. Vous commencez peut-être à voir pourquoi les développeurs de jeux vidéo ont demandé à Unity d’apprendre à utiliser Excel correctement pour faire leurs calculs. Unity a répondu dans une Q&A mais n’a pas du tout clarifié les gros points d’interrogation en suspens autour de la runtime fee.
C’est là que Twitter et Reddit se sont enflammés.
Les développeurs, petit, grands, beaux ou méchants se sont tous mis d’accord pour rejeter en bloc cette Runtime Fee Unity. Des écrans entiers de déclarations publiques pleines de sel et de larmes ont coulé sur le réseaux sociaux, chaque studio apportant sa déception à l’Arc de l’Antitriomphe.
Le peuple demande la tête de John Riccitiello et d’un partie du conseil d’administration. Mais plus les gens posent de question et plus le problème grandit. Chaque cas de figure devient pire que le précédent. C’est la cacatastrophe. Les gens imaginent toutes les situations possibles. Et si…
Vous vous demandez peut-être s’il n’y a pas eu de bon vieux overreact Twitter, une toxicité exagérée ou une mauvaise interprétation. J’aimerais vous dire que oui. Pourtant, les réponses suivantes d’Unity à toutes ces questions ont fini de convaincre le monde que cette entreprise a décidé de les couler pour sucer leurs petits profits jusqu’à la moelle, au détriment des studios et des joueurs de jeux vidéo du monde entier. Mais il y a de nombreuses autres raisons à tout ce drama.
D’abord, la Runtime Fee est rétroactive. C’est-à-dire que même les jeux publiés avant la date du 1er janvier 2024 vont être affectés par cette décision et devoir reverser à Unity des sous en fonction de leurs installations à partir de cette date. C’est assez suprenant puisque le bon sens veut généralement que les moteurs de jeu comme Unity permettent à leurs utilisateurs d’utiliser la version actuelle du logiciel sans changement et ne le forcent à suivre leurs nouvelles règles que lorsqu’ils passent à la nouvelle version du logiciel, la plus récente, qui suit également les règles les plus récentes.
En creusant un peu, cette histoire devient encore plus sombre. En fait, entre juin 2022 et avril 2023, Unity a discrètement apporté des modifications à ses conditions générales d’utilisation du moteur de jeu. Ils ont également retiré le Git repository, c’est-à-dire la page qui servait de tracking des modifications. Une fois loin du regard de la communauté, ils ont pu retirer la clause qui permettait aux développeurs d’utiliser la version actuelle de leur moteur de jeu sans appliquer de nouvelles politiques de monétisation si cela nuit à leur activité. Et oui, avant tout ça, ce drama n’aurait pas vraiment eu lieu ! Les développeurs auraient pu rester sur le moteur actuel, sans passer à la version supérieure, et quitter Unity à leur rythme si le modèle économique ne leur convenait pas pour la suite.
Vous commencez à voir pourquoi c’est shady ? L’ordre des choses n’est tout simplement pas anodin. On aurait pu le voir venir. Actuellement, tous les jeux faits sous Unity par le passé vont être affectés par cette décision complètement arbitraire. Unity Technologies s’est octroyé le droit de changer les règles du jeu en cours de route et même d’affecter le passé. Comment faire confiance à une entreprise pareille qui peut du jour au lendemain décider que vous lui devez 50% ou plus de vos revenus ? Imaginez que Photoshop décide de vous taxer 20 centimes par impression de votre image sur le web ou que le constructeur automobile décide que vous lui devez maintenant 20 centimes par kilomètres dès le 1er janvier 2024, sans vous demander votre avis.
Mais alors d’où sort cette histoire d’installations de la Runtime Fee ? À y regarder de plus près, cette statistique semble complètement sortie du chapeau pour une bonne partie de l’industrie. Les “installations” n’existent comme metrics que pour les jeux mobile, qui comptent leur nombre de téléchargements. Le reste de l’industrie se concentre sur les chiffres de vente et de temps passé en jeu, les aspects majeurs de la conversion et de la rétention d’audience. Les installations ne sont pas un nombre prévisible et elles ne génèrent pas d’argent. Vous pouvez tout à fait acheter un jeu et ne jamais le télécharger si vous stockez comme moi plusieurs centaines de titres sur Steam.
À l’inverse, vous pouvez aussi télécharger un jeu et ne jamais l’avoir acheté notamment en récupérant une version pirate. Alors pourquoi Unity se concentre-t-il sur les installations ? En fait, l’entreprise perd énormément d’argent chaque année. Elle investit beaucoup dans des rachats d’entreprises et dans ses bonus pour son conseil d’administration **tousse tousse**. Les développeurs et les joueurs s’imaginent que Unity est avant tout un moteur de jeu et un service de pubs et de monétisation en second plan. Hors c’est l’inverse. En termes de revenus et de décisions, ça a été encore renforcé par la fusion avec IronSource. La branche Creative Solution d’Unity Technologies, qui contient le moteur de jeu, a généré 326M de dollars contre 709M de dollars pour la branche dédiée à la publicité et la monétisation sur leur rapport financier de 2021. Unity est une machine à monétisation avec des achats in-game, des pubs et des enchères pour les annonceurs. En fait, Unity aimerait récupérer davantage de sous de la part des jeux mobile, notamment les titres free-to-play, pour faire scale ses revenus.
Évidemment, l’effet boule de neige c’est qu’avec une mesure aussi pourrie, ça va pousser tous les jeux à vous vampiriser pour obtenir toujours plus d’argent, même ceux qui ne voulaient pas le faire avant, pour survivre et dégager un minimum de bénéfices. Plus on cherche et plus on s’enfonce dans les mauvaises décisions. Après quelques clarifications, Unity déclare que les réinstallations sur un même appareil ne seront pas prises en compte, ni les piratages. Pourtant il serait assez simple pour n’importe quel développeur d’ouvrir tout un tas de machines virtuelles avec un bot pour installer le jeu et faire couler leur concurrence comme ça. Et comment Unity compte ces installations ? Réponse d’Unity :
Nous exploitons notre propre modèle de données alors vous comprendrez que nous ne étendions pas sur les détails mais nous pensons qu’il offre un évaluation précise du nombre [d’installations] pour un projet donné.
FAQ Unity
Je vous traduis ça en langage commun. On a une solution sur laquelle on travaille, qui n’est pas prête, mais on pense que ça va aller, alors “trust me bro”.
Non seulement les développeurs n’ont aucune visibilité sur les chiffres des installations et donc pas de moyen de levier pour les contester en cas de piratage massif ou de facture ultra salée, mais en plus Unity se permet de facturer ce qu’ils pensent que les studios leur doivent. Si vous laissez la possibilité à quelqu’un de vous facturer un nombre imaginaire sans aucune preuve, vous êtes complètement fou. Unity déclare même que les jeux web seront redevables de la Runtime Fee à chaque chargement de la page sur laquelle ils tournent avant de faire machine arrière le 13 septembre, au milieu du massacre. Pour les autres, les réinstallations ne sont pas comptées ni les ventes en bundle, mais les installations sur plusieurs appareils, si. Vous pouvez donc toujours couler un concurrent avec des émulateurs, des machines et cloud etc.
Les applications hors jeux vidéo, c’est-à-dire de gambling ou liés à des associations par exemple sont aussi exclus de cette nouvelle politique par installation. Toutefois attention, Unity se réserve le droit de vous imposer la Runtime Fee si elle ne considère pas votre association comme légitime, par exemple. Génial. Pendant ce temps, tout le monde veut la tête de John Riccitiello.
L’entreprise précise également dans ses questions-réponses que les jeux publiés via des systèmes d’abonnements comme le Microsoft Game Pass, les jeux Netflix ou Apple Arcade n’auront pas besoin de payer la Runtime. Non.
À la place, ce sera au tour de Microsoft, Netflix ou Apple de raquer pour les installations. Je peux déjà vous dire que des contrats entre des gros éditeurs et des développeurs Unity ont déjà été annulés cette semaine juste avant leur signature à cause de cette annonce. Les géants de l’édition n’auront aucun intérêt à se traîner un boulet au pied avec des jeux Unity. Soit ils les ignoreront royalement, soit ils leur proposeront des deals désavantageux au possible pour compenser la Runtime Fee. Ou alors Unity va avoir chaud aux fesses avec un joli procès. C’est au choix.
Je ne vous parle même pas du partage familial de librairie Steam qui n’a pas vraiment été évoqué mais qui pourrait démultiplier le nombre d’installations par nombre d’achat. Honnêtement personne ne comprend la décision d’Unity Technologies. La communication est foireuse, lisse et incompréhensible. L’annonce en elle-même est si floue que tous les scénarios deviennent une catastrophe. Et les réponses à côté de la plaque aux questions majeures sèment la panique chez les développeurs. Mais en plus de la Runtime Fee, une autre modification s’est glissée dans cette annonce du 12 septembre 2023 : la disparition d’Unity Plus, une formule adaptée aux petits développeurs.
À la place, les gens devront maintenant se rabattre sur la version gratuite ou payer 2000 dollars par an, par personne pour utiliser Unity. Sans parler de la Runtime Fee, les petits studios qui veulent profiter du crossplatform par exemple doivent payer 5 fois plus qu’avant. Ils pourront conserver leur abonnement Plus encore un an, et après il faudra raquer.En comparaison, pour que vous puissiez vous situer, Unreal Engine prend 5% des revenus après 1 million de dollars. John Riccitiello a bien fait son coup pour booster les profits de Unity au détriment des plus petits. Une pétition est née pour l’évacuer du pouvoir. Mais il n’est pas tout seul aux commandes.
On entre en territoire boueux. Nous voici au cœur de la jungle capitaliste, avec Johnny et ses amis. En 2011 chez EA, à une réunion d’investisseurs, John Riccitiello lève le masque :
L’extrait audio complet est disponible ici.
Ah ça Johnny tu l’as dit. Payer pour recharger mon gun en plein fight avec des microtransactions basées sur ma frustration… C’est vraiment le rêve. Pas la peine de s’enflammer, c’est juste un exemple pour John Riccitiello. Mais dites vous que c’est exactement ce que disent les patrons de jeux vidéo à leurs investisseurs et qu’ils ne diront jamais en face aux joueurs. Chez Unity, cela se traduit notamment par la présence au conseil d’administration de :
On enchaîne avec du croustillant sur une nouvelle citation de John Riccitiello en 2015, chez Unity.
Simple. C’est le contraire parfait de la Runtime Fee Unity, du drama et du bullshit magnifique auquel on a eu droit depuis le 12 septembre. Mais John n’a pas peur des modèles free-to-play qui tournent à l’exploitation puisqu’il serait aussi une whale sur certains jeux mobile comme Clash of Clans sur lequel il aurait dépensé plus de 3 000 dollars, même si pour lui c’est de l’argent de poche.
**tousse** Runtime Fee **tousse**.
Bon ben voilà une nouvelle phrase qui a hyper mal vieillie. On pourrait mettre Johnny et ses amis face à leurs contradictions dans une vidéo de 40 minutes mais je vais quand même conclure la parole de Saint John Riccitiello avec cette citation qui décrira parfaitement la décision arbitraire, unilatérale et destructrice pour tous les développeurs membres de la communauté Unity de la Runtime Fee :
Le 14 septembre, en pleine tourmente dans le drama, Unity Technologies ont été “forcé et contraint” par une menace de mort “crédible” de fermer ses bureaux d’Austin et San Francisco et d’annuler une réunion autour de l’avenir du problème de la nouvelle politique économique. Le FBI et les autorités locales s’en mêlent. Petit twist. La menace de mort vient en fait de l’intérieur, d’un employé de chez Unity Technologies. C’est le pétage de plomb à tous les étages.
Le 15 septembre, la communauté gaming voit la montée en puissance du mécontentement alors que Unity fait le mort. C’est le silence radio pour John Riccitiello. Les développeurs eux, prennent la parole. Dans une lettre ouverte de certains studios sur le site d’Azure Games, on peut lire ces mots :
En tant que parties prenantes, nous ne pouvons pas rester silencieux lorsqu’un décision menace de déséquilibrer cet écosystème. Prétendre, comme Unity l’a fait, que cette nouvelle “Runtime Fee” n’affectera que 10% de l’industrie n’est pas juste trompeur, c’est clairement mensonger. Alors que nous avons toujours envisagé notre travail comme un effort collectif, cette décision nous a pris au dépourvu. D’un coup de stylo, vous avez mis des centaines de studios en danger, sans consultation ni dialogue. Il n’est pas question que des développeurs. Cela touche des artistes, des designers, des marketers et des producteurs. C’est une cascade qui pourrait mener à la fermeture d’entreprises qui ont tout donné à cette industrie.
Azure Games et studios associés à cette lettre ouverte
La déception est grande pour les studios et tous les passionnés d’Unity. La communauté gronde mais les studios ont encore au moins un pouvoir entre leurs mains : leurs revenus. L’entreprise d’Unity compte beaucoup sur ses services publicitaires sur mobile, comme je vous en parlé plus tôt dans cet article. Alors autant y aller franchement et leur faire comprendre ce que ça fait d’être pris en otage pour ses revenus, comme avec la Runtime Fee. La lette ouverte poursuit avec un ultimatum :
Effectif immédiatement, notre collectif d’entreprises de développement de jeux vidéo est contrait de désactiver toute la monétisation d’ironSource et des Unity Ads à travers tous nos projets jusqu’à ce que ces changements soient repensés.
Azure Games et studios associés à cette lettre ouverte
Nous invitons tous ceux qui partagent cette position à faire de même. Les règles ont changé et les enjeux sont bien trop élevés. La Runtime Fee est un changement inacceptable de notre partenariat avec Unity qui doit être immédiatement annulée.
Cette lettre a été signée par plus de 500 studios en quelques jours. Ils ont même lancé un site, celui des unitedgamedevs, mais il est hors ligne pendant que j’écris cet article. Après avoir délibérément craché sur les utilisateurs de son moteur de jeu, Unity est pris dans ses propres filets de drama avec une monétisation qui lui échappe. Si les studios ne toucheront rien, ils préfèrent entraîner Unity dans la tombe avec eux et parler la seule langue que John et ses amis écoutent vraiment : celle de l’argent.
Le weekend des 16 et 17 septembre se tient dans un silence abominable de la part d’Unity et certains développeurs commencent à se former sur d’autres moteurs de jeu. Sans nouvelle, il faut commencer à tourner la page. Unity déclare que la Runtime Fee n’affectera que 10% des développeurs et personne ne peut dire si c’est vrai. En repassant sur les calculs, ceux qui sont affectés pourront même globalement survivre si les installations de leurs anciens utilisateurs n’éclipsent pas les revenus générés par les nouveaux. Mais ils ont brisé la confiance de leur communauté et brisé les rêves des développeurs indépendants qui rêvaient de faire comme les plus grands.
La prochaine génération de jeux a déjà commencé à émigrer. Le dimanche, en fin de journée, Unity publie un tweet mémorable :
Nous vous avons entendu. Nous nous excusons pour la confusion et l’angoisse occasionnée par l’annonce de la Runtime Fee mardi. Nous écoutons, échangeons avec nos membres de l’équipe, nos clients et nos partenaires et nous apporterons des changements à cette politique. Nous partagerons une nouvelle version avec vous dans quelques jours. Merci pour vos retours honnêtes et critiques.
Unity Technologies, sur son compte X / Twitter
Évidemment ça n’a plu à personne. Attendre 3 jours pour une réponse qui n’éclaircit rien et qui prétend que les gens sont confus alors que c’est clairement un move catastrophique de leur part, ça ne fait jamais plaisir. Du coup, les gens se sont lâchés sur la Grenouille de la honte qui apporte de la honte à un post original si elle dépasse le nombre de likes du post d’origine.
C’est gagné pour la grenouille et encore perdu pour Unity.
Passons à des questions pragmatiques : est-ce que c’est légal ce que fait Unity ? Légal ou non, c’est dur à dire et aucun avocat ne pourra vous garantir ça à 100%, mais voici quelques points qui pourrait valoir à Unity quelques procès à différents endroits du monde :
Parmi les autres théories sur ce qu’il pourrait se passer dans les jours et les mois à venir, on retrouve des idées différentes.
Ce que je peux vous dire c’est que l’expression “to pull a Unity” ou “faire une Unity” en français est déjà en train de se répandre pour parler de pratiques de partenariats affreuses. Et ça, ça ne disparaîtra pas.La situation est très étrange. Sur la FAQ Unity, on peut lire :
La Runtime Fee Unity sera facturée à l’entité chargée de distribuer le Runtime.
FAQ Unity
C’est-à-dire le fichier exécutable, le petit “.exe” que vous connaissez sûrement. Là aussi c’est très flou. Pour moi, celui qui distribue, c’est soit l’éditeur soit la plateforme de “distribution” comme Steam par exemple. Je n’y comprends rien. On peut dire que je suis confuse maintenant, merci Unity. Pour essayer d’y voir plus clair, quelqu’un a demandé à Unity Muse, l’IA de l’entreprise, ce qu’elle penserait d’un modèle économique avec une taxe d’installation.
C’est le moment de savoir si seuls les humains sont confus. Ah. Ben leur propre IA trouve que c’est une idée à la con. Pour la citer :
“L’idée d’implémenter un modèle de paiement par installation semble en contradiction avec les principes fondamentaux d’Unity et pourrait ne pas servir les intérêts de la communauté Unity. Un tel modèle pourrait mener à un écosystème fragmenté où seuls les développeurs les plus stables financièrement prospèrent, et potentiellement freiner l’innovation et la créativité.”
Unity Muse, 2023, sur le sujet d’une éventuelle Runtime Fee
Le pire dans tout ça c’est que la confiance est brisée et piétinée entre les développeurs et Unity. La Runtime Fee n’est pas viable puisque les installations ne sont pas un nombre prévisible, ce qui est extrêmement instable pour la production d’un jeu vidéo et le maintien financier des studios. Unity s’installe sur son trône et les autres doivent subir la pression financière parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. Ils pourraient partir mais ils perdraient plus d’une décennie d’expertise, d’outils, d’assets en tous genres et toute leur structure de production de jeu, ce qui leur coûterait énormément. Pourtant, sur le long terme, avoir le couteau sous la gorge par Unity est encore moins tenable. De nombreux studios et développeurs indépendants ont déjà pris leur décision.
Ils s’appellent : les réfugiés d’Unity.
Avec tout ce drama et ces échanges compliqués, qu’est-ce que ça implique pour vos studios préférés, vos jeux et l’industrie du gaming ? Honnêtement, les choses sont encore floues et certains gros studios qui ont répondu aux mails des journalistes ont déclaré ne pas pouvoir commenter la situation.
Mais quelques aspects sont déjà certains. La confiance entre Unity et les développeurs est rompue. Unity Technologies a dévoilé un plan de jeu bien plus sombre que ce que n’importe qui aurait pu soupçonner. Ils se sont montrés sourds et aveugles à la panique qu’ils ont causé, loin de la réalité des choses. Pour les studios, choisir Unity avec ou sans runtime fee reste la carte de la sécurité à court terme, mais tous ceux qui se sont manifestés ont confirmé qu’ils souhaitaient changer de moteur de toute façon puisqu’ils estiment qu’Unity pourrait le refaire le coup n’importe quand avec un drama équivalent. Unreal Engine est une bonne alternative, mais aussi Godot, qui peut signer la montée de l’open-source en moteur de jeu.
Ce qu’il faut retenir, c’est que les pouvoirs se concentrent dans les mains de peu d’acteurs qui peuvent changer de direction à tout moment et bouleverser le marché du jeu vidéo, que ce soit Unity, Microsoft ou Tencent. Si cette Runtime fee existe en 2024, de nombreux jeux auront recommencé ou repris leur développement ailleurs, ce qui pourrait repousser leur sortie. Les jeux triple A sont les premiers visés par les accords derrière le comptoir et je ne me fais pas trop de souci pour eux. Mais le jeu mobile et les développeurs petits et moyens ont été trahis par Unity. Ils vont devoir trouver des alternatives, ce qui devrait ralentir le cycle des sorties. Ça leur coûtera du temps et de l’argent. Et si la Runtime Fee existe tel qu’elle est prévue, vous pourrez faire couler les studios que vous n’aimez pas si leurs jeux tournent sur Unity et que vous savez vous amuser avec des émulateurs, VM ou du botting.
Runtime Fee ou non, les choses ne seront plus jamais comme avant. Avec ce drama, Qu’Unity annule sa politique ou poursuive aveuglément ses objectifs de rentabilité sur fond d’annonces corporate, la confiance des développeurs dans ce géant est rompue. Le bad buzz dans lequel est noyée l’entreprise ne sera jamais dépassé par le bruit d’un simple retour en arrière. Vous connaissez les réseaux sociaux. Les développeurs ont été pris en otage par une décision arbitraire, sans aucune consultation, mettant en péril leur liberté créative, leurs jeux et leur capacité d’exister financièrement et paisiblement dans une industrie du jeu vidéo toujours plus compétitive. Les développeurs et les studios ne se méfiaient pas assez. Et aujourd’hui ils sont nombreux à ne plus vouloir se faire avoir. À ne plus vouloir donner à Unity ce pouvoir sur eux et sur leurs joueurs. Le marché mobile pourrait en souffrir encore plus vu la domination d’Unity sur ce support. Malgré le choc, il y a de l’espoir. Unreal Engine et les autres moteurs de jeu se tiennent prêts à accueillir les réfugiés d’Unity.
Certains studios préféreront sûrement créer leur propre moteur puisqu’ils en ont les compétences et que cela pourrait garantir leur liberté et leur sécurité futures.
D’autres, notamment les créateurs de jeux en 2D, rejoindront facilement Godot, un moteur de jeu open source et transparent fait par la communauté, pour la communauté.
Comme j’ai pu le lire si souvent sur Twitter, ces histoires de fonds spéculatifs, de profit à tout prix et de décision commerciale aveugle à la réalité des consommateurs doivent cesser. C’est le signe qu’il est temps de rendre cette industrie aux joueurs et aux développeurs qui la font vivre. Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités et tous ne sont pas à la hauteur. Unity Technologies n’est pas à la hauteur de ce que méritent les studios et joueurs.
Merci d’avoir lu jusqu’ici. C’est un sujet qui tenait particulièrement à cœur à la Team Mobi.gg. Il fallait qu’on vous en parle, même si c’est un peu tardif parce qu’on a voulu faire les choses bien. Je n’ai pas pu tout couvrir parce qu’il y avait énormément de choses à voir.
N’hésitez pas à poster vos questions, à compléter les infos de l’article ou à débattre en commentaire. Au moment de la fin de l’écriture de cet article, un leak (probablement intentionnel) indique qu’Unity pourrait proposer un prélèvement total des frais d’installation capped à 4% des revenus des gros studios, ce qui ne sauvera pas les plus petits, mais l’entreprise réfléchirait aussi à permettre aux gens de tracker leurs installations eux-mêmes. Nos sources sont disponibles dans le document en haut de l’article et on a fait de notre mieux pour tout rassembler en un seul endroit dédié à notre communauté.
Pour rapporter… de l’unité.
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